Jour 153 - 西安 (Chine)
Publié le 23 Juillet 2013
Tibet, ou t'y vas pas
Question a dix yuans (une bière et six oeufs de caille) : quel est le point commun entre le capitaine Haddock et Eddy Murphy (1) ? Rien a voir avec leur sens aigu du calembour. Ou presque : ces deux artistes facétieux nous ont chacun a leur manière fait découvrir des aspects du Tibet que les sourires Colgate du Dalai Lama au JT de TF1 ou les agitations pyromanes de ses disciples ne sont jamais parvenues a raconter. Car oui, les enfants tibétains tirent bien la langue pour dire bonjour et, oui encore, il arrive que les hommes pieux du "Toit du monde" se décrottent le nez en pleine prière. Et non - pour de suite lever le doute - nous n'avons pas mis le début d'une semelle en cuir de yak sur les hauts plateaux les plus spirituels de ce bas monde. Trop cher, trop compliqué, trop guidé et trop sinoisé, dit-on.
En fait, l'alternative en territoire chinois s'appelle Xiahe. Un bled qui a longtemps appartenu a la province tibétaine de l'Amdo et qui, malgré l'arrivée des promoteurs immobiliers et bientôt de l'autoroute, résiste encore et toujours a l'envahiss... oups... aux modernisateurs. Ce, grâce a la présence multiseculaire de son monastère, Labrang, l'un des plus sacres pour les Gelupga et leurs bonnets jaunes (ce qui, au passage, n'est pas pareil qu'un jaune bonnet, ni qu'un jambonneau). Tibétains du Tibet y viennent en pèlerinage vêtus de leurs habits traditionnels, ainsi qu'un flot ininterrompu de moines et de nomades des environs ayant égorgé leur troupeau de moutons pour se constituer une garde robe decente et monter au village.
Clochards celestes et autres yaks
Tout ça pour vous expliquer, lointains incultes, que si Lhassa la pieuse doit valoir le coup d'oeil, Xiahe vaut également son pesant d'encens et de moulins a prière. D'ailleurs c'est bien simple : pas un potron minet ne s'étire les pattes sans qu'une palanquée de pèlerins mal réveillés ne viennent faire trois fois le tour du monastère en se tripotant le chapelet. Voire en se jetant carrément par terre sur neuf kilomètres, dont un passage a 13% derrière la petite stupa au toit dore. Prends ça, Pierre Roland.
Qu'a-t-on vu d'autre en cette mystique contrée ? Quelques yourtes traditionnelles, deux ou trois chiens que l'on dit parmi les animaux les plus dangereux de la planète (devant l'hippopotame du Nigeria et l'Azureus de Dendrobates du Surinam), ainsi que des autochtones qui bossent sans compter a la depense leur ressemblance hippie avec les Péruviens du Pachacamac. Car plus qu'un lieu sacre pour les moines qui borborygment leurs yaourts et leurs prières, tambourinent de concert au petit déjeuner, Xiahe est bien cette grande place de la mode a faire s'étrangler de frustration vestimentaire un hipster parisien (ou hyerois) en phase neo-tribale.
Hauts de forme, nattes qui s'attachent dans le bas du dos, courbure outrancière dans la démarche pour les femmes ; serpillière avec des manches, gants et genouillères, chapeau de cow-boy, bref look de clochard céleste en mode NBA pour les hommes. Le tout, très colore, très calcine par les UV, très parfume au yak aussi - que voulez-vous, ils le mangent, s'en servent pour se chauffer, en font des bougies et même des sculptures en beurre - et, in fine, incontestablement "in", si ce n'est "into", the wild évidemment.
On vous épargnera l'analyse du style monastique qui, si élaboré puisse-t-il paraître pour un accro a Fashion TV, sert essentiellement des fins ergonomiques pour les phases de méditation, d'auto-combustion et de commodités post-digestion. Si, si. Quant a ce drôle de capeo jaune a poils en brosse, sans doute copie sur le modèle des centurions romains (ah, les bienfaits de la Route de la soie), il ne sert tout bonnement a rien. C'est cela aussi la grande leçon de la mode bouddhiste tibetaine : au matériel, nul n'est tenu. Du coup, ils lévitent.
(1) Pour ceux qui auraient manque sa rediffusion sur TMC en novembre dernier, hâtez vous de découvrir ce chef d'oeuvre du comique burlesque post 80's : "Golden Child : L'enfant sacre du Tibet". Un film dont la diffusion avait a l'époque valu le départ en congé maladie (pour dépression) de la moitie des critiques cinéma de Telerama. Toujours disponible en VHS.
Ca les gars, c'est une sculpture en beurre de yak. Veridique. Et c'est meilleur en photo que sur un morceau de pain. Veridique aussi
Je vous conseille de zoomer cette photo pour vous apercevoir que ce moine n'etait pas vraiment en train de mediter