Jour 166 - 北京 (Chine)
Publié le 5 Août 2013
Chinoiseries de conscience et de circonstance
Entrevue pendant un mois, la Chine s'est a present immobilisee dans la brume poisseuse et l'agitation etouffante de Pekin. Ici, le "Pays des ventilateurs" decrit par Amelie Nothomb est devenu celui des climatiseurs, du metro bonde et des monuments lisses bombardes par les flashs. Et si les deserts monstrueux et les sublimes montagnes, les sages edentes aux joues creusees par la secheresse, les villages figes dans l'empire ou les rites ancestraux ont bien atteint la capitale, ils ne sont que cartes postales retouchees dans les boutiques pekinoises. Leur saveur est celle du papier glace, glacial, d'un continent etranger et passe. Un territoire englouti dans une modernite a ce point vorace qu'elle ronge un a un ses paradis naturels en meme temps que ses modes de vie les plus traditionnels.
Difficile de s'y retrouver pourtant : les plus pittoresques des vieilles villes disparaissent sous les coups sans pitie des bulldozers, le touriste s'indigne mais l'habitant decouvre le tout-a-l'egout et le chauffage dans un immeuble rectangle et froid. Un de ceux qui poussent comme du ble OGM au milieu d'une verte prairie. Les costumes rituels et les sapes elimees ont ete remplaces par du Luis Vitton ou du Docce et Cabana pas cher ; la foule se rue au Mc Do mais elle mange. Le rickshaw n'est qu'un grand velo electrique ameliore, mais plus personne ne s'evanouit sous la canicule et sur les pedales. Dommage pour la photo, c'est sur.
Un fait encore : la mondialisation s'est abattue a l'est plus sournoise qu'un vent du Taklamakan sur une caravanne de bedouins. Prenez Mao. Mao en affiche, Mao sur les tasses, Mao sur les montres et Mao sur les T-shirt. Messi ne vendra jamais autant de maillots que cette vile idole sanguinaire, ignoble tyran de l'austerite non marchande, devenue - ironie de l'histoire - source intarrissable de dollars.
Un soupcon toujours : la pauvrete deserte les centres des cites mais on la devine partout, derriere cette montagne entouree de sepulture en terre, dans ce faubourg brinquebalant (bientot detruit lui aussi) ou les toits de plastique sont retenus par des pierres. La, encore, entre deux compartiments dans le train, ou les sourires fatigues s'entassent dans la fumee au milieu des paquetages de fortune, seuls biens de ces ouvriers exploites, de ces paysans exiles. De ces retraites sans pension, endoctrines aux rasades de communisme frelate. Les bougres s'en rendent compte aujourd'hui, qu'ils ont ete sacrifies par le Parti. Et c'est trop tard, bien trop tard pour eux.
La Chine s'agite et les places se font rares pour les faibles, les marginaux, les minorites et les tetes qui depassent. Pour l'Autre en fait. Qu'il se le tienne pour dit - et tranquille surtout. Ou qu'il consumme ses dernieres forces loin des medias, au mieux. Mais un fait indeniable, sans doute (et ici ils sont nombreux) : le niveau de vie s'ameliore pour le plus grand nombre... qui est de plus en plus grand. Au moment de le quitter, force est de constater que l'Empire celeste demeure pour nous un mysterieux mirage, souvent decevant, passionnant tout le temps. Un drole de casse-tete chinois.